Rationnement ou Révolte
Sur le front du climat, trois tendances se sont dessinées cet été :
- La montée du chaos climatique avec des turbulences météorologiques, la détérioration des récoltes, l'augmentation des zones invivables, le réchauffement excessif des mers;
- Le ralentissement de la transition énergétique en raison des résistances politiques, des dépenses de guerre, de l'inflation, de l'échec des start-ups, de l'innovation temporisée;
- L'insistance croissante des intellectuels du climat sur la nécessité d'un pilotage plus serré.
Je souhaite approfondir ici la dernière car il s'agit d'un activisme concernant lequel, tout comme pour l'activisme de rue (de XR, Rising Tide, Letzte Generation, etc.), la réflexion ne fait pas de mal.
La montée du chaos climatique rend la position des intellectuels de moins en moins enviable. Ils sont très nombreux parce que le découpage entre travail manuel et travail principal a été considérablement renforcé au cours des dernières décennies, du fait que la gestion libérale des réserves (le droit d'accumuler du capital) s'est répandue dans le monde entier. Ce faisant, nous avons déclenché une concurrence mutuelle (sur les marchés) dans laquelle le fait de disposer d'un maximum de super intellos (en raison de leur production d'analyses et de conceptions) est décisif pour gagner ou perdre. Par exemple, entre 2014 et 2018, le nombre de chercheurs a augmenté trois fois plus vite que la population mondiale. La plupart des pays comptent déjà 40 % de personnes hautement qualifiées.
Leur position est de moins en moins enviable maintenant que nous sommes en train de sombrer, parce qu'ils forment l'essentiel de la classe supérieure de la population à forte émission et de l'élite des gestionnaires responsables, mais doivent assister impuissants – tandis que le climat déteriore plus vite que prévu – que la mise en œuvre des politiques de transition proposées ralenti et ne peut en aucun cas être accélérée. Il n'est donc pas surprenant que les intellectuels du climat, qui représentent une part de plus en plus importante de la population totale des chercheurs, soient récemment devenus plus désireux de se rapprocher du siège des dirigents et autorités compétentes, où les leviers du changement de cap sont à portée de main.
L'été dernier, des intellectuels ont publié deux rapports présentant la politique climatique à long terme de manière bien intégrée en une seule schéma.
- Celui-ci au niveau national (NL): The advice for the climate plan 2025-2035, par The Netherlands Scientific Climate Council (WKR). Voir le résumé en anglais ici.
- Celui-ci au niveau mondial: A just world on a safe planet, par The Earth Commission (EC).
Deux réflexions très sérieuses élaborées par des groupes de scientifiques qui agissent dans des cadres qui ont été configurés ces dernières années pour imbriquer plus fortement la science et la gouvernance. Leur mission se résume à élaborer des solutions d'atténuation pour les décideurs gouvernementaux et à les rendre praticables pour eux.
Les deux rapports tracent une trajectoire assez linéaire de réduction des émissions jusqu'en 2050, en supposant que jusqu'à cette date nous avons suffisamment de budget carbone pour construire les infrastructures nécessaires.
La trajectoire de réduction du WKR
La particularité du trajet proposée par le WKR est que, s'appuyant sur le fait qu'à terme 84 % des émissions seront réduites par le biais d'ETS 1 (industrie et électricité) et d'ETS 2 (transport routier et bâtiments) – ETS étant le EU Emissions Trading System – ils proposent une accélération des réductions vers 2040, afin de disposer ensuite d'une marge de manœuvre jusqu'en 2050 pour des écrous durs à fendre .
À l'horizon 2040, ils conseillent d'atteindre une réduction de 90 à 95 % (au lieu de 80). Ils soulignent qu'un large suivi continu de la dynamique de toutes les variables sociétales nationales (économiques, sociales, spatiales) doit guider cette trajectoire de réduction afin de ne pas la laisser dérailler en raison de rétroactions et de substitutions. Une approche systémique donc en intégrant les sous-plans et programmes, à savoir le Plan du système énergétique, le Plan de l'espace rural, les programmes d'économie circulaire et de durabilité, le plan de stratégie d'adaptation, et le programme Deltares (= Plan de défense contre les inondations). Enfin, préoccupés par la résistance de la population (mise en œuvre), ils souhaitent travailler plus sur le développement de perspectives prometteuses (visions de l'avenir) qui intéressent tous les rangs de la société néerlandaise. Par exemple, des visions d'avenir pour des sous-transitions telles que l'alimentation, l'énergie et l'économie circulaire.
Leur raisonnement principal, à mon avis, est le suivant:
- Nous utilisons l'espace d'émission encore disponible dans les prochaines décennies pour transférer la propulsion énergétique de toutes les activités – sans compter les émissions de soute (aériennes et maritimes) et les émissions importées, bien entendu – vers les énergies renouvelables (solaire, éoliennes, nucléaire, hydrogène) dont nous pouvons maintenant prétendre que leur entretien, leur renouvellement et leur démantèlement ne produiront plus d'émissions à partir de 2050.
- Entre-temps, nous supposons officiellement que (a) nous pouvons faire changer le comportement d'un grand nombre de personnes au cours de cette période, en les laissant tourner le dos de produits riches en émissions (comme la viande et les voyages) via media et normes sociétales, et (b) que nous poursuivons activement des politiques visant à rendre les productions circulaires afin de minimiser l'extraction des ressources (y compris de l'énergie).
- Puisque nous ne croyons pas nous-mêmes que ces deux astuces (changement de comportement et changement circulaire) donneront beaucoup de résultats, après tout; elles n'ont rien donné depuis 15 ans (le rayon de la plupart des cercles de production comme le verre, le carton, les plastiques est devenu mondial c'est-à-dire qu'il a évolué jusqu'au rayon de la terre, et la demande de luxe et d'opulence, de voyages, de jeux, de communication et de nourriture surabondante continue d'augmenter continuellement dans tous les pays), nous allons juste pour être sûrs maintenant sèmer la sérénité (c'est-à-dire installer des cloisons étanches autour de notre plan d'atténuation des émissions) en créant immédiatement une nouvelle branche industrielle qui porte le nom captivant de « enlèvement du CO2 ». Abracadabra, CO2, au débarras !
La trajectoire de réduction du Earth Commission (EC)
La trajectoire proposée par la Earth Commission a la particularité de relier les réductions des émissions aux limites d'autres variables écologiques clés (conditions de vie/sources) afin de faire face aux impossibilités (c'est-à-dire aux limites) de notre future existence sur Terre de manière plus holistique et de pouvoir tracer la trajectoire des émissions de manière plus sûre. Il s'agit d'une extension du modèle macroéconomique de Kate Raworth. Son premier article (2012) s'intitulait déjà : « A Safe and Just Space for Humanity ». Tout le monde connaît probablement son doughnut (donut), cette tranche de pomme percée d'un trou, dans laquelle deux cercles se rapprochent l'un de l'autre. Le cercle intérieur indique la pression qu'il faut exercer sur nos sources (telles que l'air, l'eau, le climat, la biodiversité) pour donner à chacun un accès adéquat aux besoins (tels que la nourriture, le logement, les commodités), et le cercle extérieur indique la limite à partir de laquelle cette pression commence à endommager fatalement les sources. L'astuce consiste à éloigner le plus possible le cercle intérieur du cercle extérieur. Un couloir large est plus sûr qu'un couloir étroit.
En fait, une telle évaluation quantifiée des futurs possibles au niveau mondial – c'est-à-dire en scannant les frontières – a réellement débuté avec le rapport Limits-to-Growth (1972), qui posait la question suivante : "Pouvons-nous continuer à augmenter la production et la consommation de manière continue?" La réponse (non) a été difficile à avaler pour beaucoup. Kate a élargi cette évaluation en 2017 en confrontant 12 besoins/nécessités à 9 sources (sources écologiques), et elle a également souligné les implications (de ces délimitations de frontières) pour le pilotage au niveau mondial : « It acts as a compass for human progress this century ».
Qu'ajoute la Commission de la Terre (EC) au modèle de Kate ? Leur rapport calcule plus en détail la largeur du corridor entre les limites sûres et justes/équitables (= ESB) pour cinq variables principales (sources) : le changement climatique, la biosphère, l'eau douce, les nutriments, les aérosols et la pollution de l'air – voir les valeurs exactes de ces limites dans le panneau 3 de son report. Ils calculent ce corridor pour deux niveaux (= 'levels') de « juste/équité », c'est-à-dire le level 1 = avoir un accès minimum aux ressources et services clés pour l'eau, la nourriture, l'énergie et les infrastructures, et le level 2 = les ressources minimales requises pour permettre de échapper de la pauvreté.
Ils tirent ensuite des conclusions claires et fermes :
- "Earth-system boundaries (ESB's) have already been transgressed in many domains."
- Se contenter d'élever le niveau de vie des gens qui vivent maintenant dessous level 1 au level 1 (et laisser les autres tranquilles) ne fonctionnera pas car « cela poussera le réchauffement planétaire attendu au-delà des limites de sécurité, rendant ainsi impossible l'identification d'un corridor sûr et équitable pour le climat dans le cadre d'un scénario de maintien du statu quo ».
- Ils appellent donc à des efforts de décarbonisation radicaux combinés à une redistribution des ressources. Ils illustrent ensuite la profondeur des transformations nécessaires jusqu'en 2050 en calculant « l'impact sur le système terrestre si tous les humains consommaient les ressources au level 2 de l'accès minimum et rien de plus ». (Voir aussi les résultats de Millward-Hopkins).
Ensuite ils proposent des solutions pour détailler ces limtes mondiales (et les transformations nécessaires pour y rester) en sous-objectifs pour les niveaux locaux inférieurs de prise de décision (en tant que fédérations d'États, de pays, de régions, de villes, d'entreprises).
Les idées de WKR sur la manière de piloter tout cela
Ces idées sont assez diffuses. D'une part, lorsqu'il s'agit de piloter la réalisation de la trajectoire de réduction des émissions qu'elle a tracée, la WKR se résigne plutôt docilement à la faible capacité de régulation des autorités néerlandaises à tous les niveaux. Mais elle trouve une astuce pour surmonter partiellement (rafistoler) cette faible capacité de réglementation en plaçant une grande partie de la politique climatique sous la responsabilité du libre arbitre des citoyens et des entreprises. (Je reviendrai sur ce point dans un instant). D'autre part, elle attribue à ces gouvernements la responsabilité ultime de la réalisation de la trajectoire de réduction des émissions et, dans son rapport (qui se lit souvent comme un manuel de gestion), elle leur apprend constamment à s'en tenir enfin à une politique à long terme – avec des clichés tels que Une approche coordonnée signifie : un gouvernement qui conclut des accords sur la coopération entre les niveaux administratifs pour atteindre les objectifs.
Par quel tour de passe-passe prétendent-ils atteindre une pilotage cohérente et stricte?
Après un style de gouvernement paternaliste juste après la seconde guerre mondiale, les démocraties libérales en sont venues à professer qu'un gouvernement devrait être plus réservé (au sujet de ses interventions) dans des domaines où la société civile devrait être considérée comme capable de prendre plus de choses en main et de fixer elle-même des normes. Progressivement, nous avons commencé à agir de plus en plus comme si les choix individuels ne relevaient pas de la politique gouvernementale. Comme si, en tant qu'individus, nous fonctionnions en vase clos. Or, il s'agit là d'une représentation trompeuse de la realité. Nous sommes présentés comme libres de nos choix, alors que nous sommes essentiellement enchaînés, c'est-à-dire soumis à une réglementation. Permettez-moi d'expliquer cela avec des exemples.
Ce conseil de WKR vise à atteindre deux objectifs : (a) maintenir le style de gouvernance faible actuel, (b) rendre toute la collectivité sans émissions à un rythme assez rapide. Cependant, ces deux objectifs ne peuvent pas être combinés. La première objectif (état d'esprit) ressort la plus forte dans le fait que le gouvernement national n'est pas autorisé de donner la priorité aux différents types d’activité humaine – après tout, les gouvernements ne sont pas autorisés à imposer des choix – mais applique à la place la méthode du découpage en tranches (en pressant les droits d’émission) à tous les types d’activités. Chacun est autorisé à continuer à tout faire, vous savez. Le choix (la priorisation) est laissé à chacun lui-même. Cette individualité, ce secteur en quelque sorte, est ce qu’un gouvernement faible appelle « changement de comportement ». Comme si l'exécutif reste en dehors de ça, n'en fait pas partie, est au-delà de cela. Comme si la tâche principale de notre démarcation collective du comportement de chacun (c’est-à-dire la tâche du gouvernement) n’était pas de nous maintenir les uns les autres dans les limites (plafonner et délimiter) lorsque nous avons affaire à des choses qui mettent la vie en danger comme l’alcool, la drogue, le sexe, le tabac, les eaux usées, l’argent, les maladies, le drainage de l’eau, la mer.
Dans ce domaine, des changements de comportement, il y a beaucoup à gagner, bien sûr, parce que si les gens prennent moins la voiture ou l'avion, cela fait une grande différence, et c'est pourquoi le gouvernement commence à donner des coups de coude dans ce domaine. Il s'agit principalement de pressions douces par le biais de la communication. Si l'on prétend constamment en rapport avec la politique climatique ne pas intervenir dans le choix des gens concernant leur gamme d'activités (de la prodution et de la consumption), c'est parce que ils ont peur que les gens se mettent en colère?? Mais non, il y a deux raisons. Premièrement, la politique climatique est potentiellement dynamite parce que presque tous les aspects de notre production quotidienne et de notre comportement de consommation génèrent des émissions. Contrairement au tabac, tout aspect, de tout le monde, doit être délimiter. Le gouvernement a très peur de cela. Deuxièmement, les gouvernements tirent leurs revenus des taxes sur les transactions et les flux financiers. Laissez donc les marchés, les centres commerciaux, les routes, les aéroports, les chantiers de construction et les zones industrielles se multiplier et bourdonner d'activé. Donc surtout pas les effrayer.
La faille dans leur idée de gouvernance en ce qui concerne la trajectoire de la réduction des émissions (c'est-à-dire vouloir courir avec le lièvre et chasser avec les chiens en même temps) – c'est-à-dire piloter de manière désarmée en ne fixant pas de priorités – est particulièrement évidente lorsqu'ils commencent à formuler des recommandations sur trois sous-transitions clés. Note : ils présentent cela comme « Vers une approche systémique pour trois transitions (alimentation, économie circulaire, énergie) ». Belle approche systémique. Dans le cas de l'alimentation, ils appellent à plus de technologie pour réduire les émissions dans l'agriculture, et proposent la platitude d'une alimentation plus végétale, alors que les avantages en termes d'émissions sont minces parce que au sujet des emissions d'une alimentation végétale le transport, la transformation, le stockage et les suppléments ne sont pas suffisamment attribués, et que les émissions animales sont grandement surestimés parce que on les calcule via l'élevage intensif avec des aliments importés et des systèmes d'étable, d'alimentation et de fumier gourmands en énergie. Leur recommendation au sujet de la transition alimentaire se termine par une plaisanterie : « En faisant de l'alimentation à base de plantes la norme dans les restaurants/cantines gouvernementaux, on peut encourager un large groupe de personnes à faire des choix alimentaires plus durables. »
Pourquoi ratent-ils de marquer un but dans un goal vide? Pourquoi y a-t-il ici une zone d'activité avec forte émissions qui est tout à fait mûre à faire des choix clairs, largement ouverte pour établir des priorités et à faire de l'approche systémique une réalité ?
L'agriculture aux Pays-Bas est une chaîne totalement linéaire qui s'étend au monde entier. Elle produit principalement des produits destinés à d'autres pays, avec des intrants provenant d'Allah sait où. Les fleurs et les plantes destinées aux riches élites doivent-elles être importé chaque jour des quatre coins du monde pour être mélangées, commercialisées, emballées et envoyées à tous les fleuristes de la planète en même temps que leur propres productions? Le lait en poudre, les œufs, le fromage et la viande de porc doivent-ils être vendus dans le monde entier? Les Pays-Bas doivent-ils importer et exporter autant d'aliments concentrés?
Encore: Pourquoi la WKR ne parvient-elle pas à marquer des points dans ce domaine d'activité riche en émissions? Pourquoi ne s’attaqu-t-elle pas à ce domaine?
Pour moi, en tant qu’agriculteur qui travaille depuis 33 ans dans des cycles assez fermés, ce qui me frappe d'emblée dans le regard de la WKR, c'est sa vision incroyablement petite bourgeoise de la campagne. Comme s'il n'y a rien entre un zoo et une nature préservée (intacte). Pourqoi? Ils ne prêtent aucune attention aux quelques grands modèles de profit néerlandais qui s'effondreront en raison des coûts élevés si vous (devriez) leur faire payer toutes leurs émissions (y compris les émissions des transports outre-mer) et qui devront lentement réduire complètement leurs droits (d'émission) vers 2040, à savoir : la chaîne des fleurs et des plantes, la chaîne de la viande, des œufs et des produits laitiers, et la chaîne de la betterave sucrière. Chacune de ces chaînes est extrêmement gourmande en énergie. Alors que la ville de Zutphen et Arjen Lubach ont récemment exprimé haut et fort l'absurdité (en termes d'émissions, de toxines et de superflu) de la filière des fleurs, par exemple, et que tout le monde sait depuis longtemps que la filière de la viande et des produits laitiers dépend du transport très bon marché d'une part d'aliments pour animaux en provenance d'autres régions du monde et d'autre part de produits finis vers d'autres régions du monde, le WKR fait semblant de ne pas les voir.
Mais regardez aussi de près la chaîne sucrière dans laquelle de nombreux pesticides et engrais de synthèse sont utilisés. Aux Pays-Bas huit millions de tonnes de betteraves (= 75 % d'eau) doivent être arrachées, chargées et transportées sur de longues distances vers les sucreries, après quoi la production de sucre se résume à couper, échauder, bouillir, distiller et centrifuger afin de se débarrasser de toute cet eau et de récolter sucre pur. Voyez comment, pendant six semaines par an, tout un parc de machines et de moyens de transport doit être maintenu en parfait état pour effectuer toutes ces tâches. Un processus de production qui consomme énormément d'énergie pour un produit dont nous n'avons pas besoin du tout. Vivre sans sucre ne pose aucun problème. On en ingère suffisamment et de manière mieux intégrée grâce aux légumes, aux céréales, aux fruits et aux produits laitiers.
Evalué plus générale : Pourquoi le WKR, avec sa soi-disant « approche systémique » de ces transitions, ne propose-t-il pas de rendre l'agriculture complètement circulaire en faisant passer toutes les exploitations néerlandaises à une agriculture mixte (= culture + elevage) mettant l'accent sur les céréales, les betteraves fourragères, les noix et les légumes, tout en reservant dans chaque exploitation une partie de la surface pour des prairies (dans la rotation des cultures) pour la production complémentaire de lait, de viande et d'œufs, afin de pouvoir composter suffisamment de fumier (avec les déchets végétaux et les matières fécales locales) pour fournir chaque année à l'ensemble de la région suffisamment d'éléments nutritifs de base ? Si l'on ajoute à cela l'obligation de limiter les parcelles à 2 ha et de les entourer de talus boisés de 5 mètres de large, une telle structure agricole entièrement mixte serait un énorme succès en termes de biodiversité, de production de combustibles locaux (bois) et de fourrage (betteraves fourragères et orge), en termes de nourriture polyvalente disponible localement, en termes de minimalisation des engrais chimiques, des pesticides, et d'émissions de méthane (plus d'élevage intensif, beaucoup moins de vaches laitières), et en termes de résilience climatique et de gestion de l'eau.
Une telle approche intégrée de l'alimentation, de l'énergie et de la circularité pourrait réellement porter le label d'une approche systémique et soutenir de manière crédible une trajectoire de réduction des émissions à grande échelle. Mais le gouvernement néerlandais devrait alors sortir du placard en termes de pilotage – c'est-à-dire abandonner sa frilosité – et donner très clairement la priorité aux types d'activités humaines. Ce qui est prioritaire et ce qui ne peut plus être fait pour le moment. Ce conseil du WKR au gouvernement néerlandais est un exemple de la façon dont on adapte le rythme et le contenu d'un plan à la régulabilité politique du moment, au lieu de le concevoir pour rémedier des problèmes de contrôle réels (urgence et ampleur). Cependant, il n'y a plus de temps pour une telle douceur, pour séduire et attirer. Il y a le feu, l'état d'urgence. Il faut donc appliquer un autre pilotage. J'y reviendrai plus tard.
Les idées de EC sur la manière de piloter tout cela
Quant au pilotage (gouvernance), ils placent la barre très haut. Prenez comment ils se présentent : « The Earth Commission is an international, transdisciplinary group of scholars that informs the creation of science-based targets and transformations to protect critical global commons». Cette commission est hébergée par Future Earth, la branche scientifique de Global Commons Alliance (l'Alliance mondiale pour les biens communs). Cette carte d'adresse montre clairement qu'ils se placent dans la position d'un administrateur mondial et qu'à partir de cette position, ils essaient de déterminer les choix stratégiques nécessaires pour naviguer en toute sécurité dans l'avenir. Leur texte fait souvent référence à l'érudition et aux érudits (« Les érudits mettent l'accent sur... »). Comme s'il s'agissait de la seule source où l'on peut puiser la vérité et la valeur. Leur autosatisfaction est inébranlable.
Qui finance la Global Commons Alliance ? Principalement la philanthropie Rockefeller et les fondations Moore (Intel), Oak ( Duty-free shops), Herlin (Elevators), Hewlett (HP), Porticus (C&A), Global Challenges (Stock market traders), et Generation Foundation (JustClimate Fund). Le World Resource Institute (1900 membres du personnel) est un partenaire proche de Global Commons Alliance, avec un nom tout aussi pompeux, et là le Bezos Earth Fund en est le principal contributeur financier. Ce financement montre également la nature flottante de la Earth Commission dans les hautes sphères. Après tout, elle n'est nulle part liée à une autorité décisionnelle formelle. Et une telle autorité n'existe pas non plus au niveau mondial. Bien sûr, vous pouvez imaginer ces points de décision inexistants au moyen d'une conception de la gouvernance qui suppose une hiérarchie avec une ligne de commandement descendante, mais malheureusement les choix stratégiques que vous faites alors – financés par des parties super-riches inquiètes pour leurs investissements – ne peuvent être realisés nulle part. Disons en passant, le projet Limits-to-Growth (en 1975) a également été entièrement financé par une fondation, à savoir celle de Volkswagen.
Ils contredisent cette inexistence de pouvoir de décision à haut niveau en déclarant que « les ONU peuvent fixer des objectifs sociétaux communs et coordonner des réponses politiques globales et des accords internationaux, que les gouvernements nationaux peuvent ensuite mettre en œuvre ». Mais l'inefficacité du processus décisionnel de l'ONU et la faiblesse et l'impuissance de ses relations avec tous les pays participants sont démontrées quotidiennement dans les situations de conflit actuelles. Et même si ce point de décision fonctionnait, celui qui se trouve en dessous (le niveau national ou interétatique, comme l'UE ou les États-Unis) n'est pas non plus très en forme pour découper des objectifs fixés (au niveau central) et des transformations vers des points de décision inférieurs (régions, villes, secteurs, municipalités) et pour les mettre en œuvre par un contrôle rigoureux – voir l'impuissance du gouvernement Néerlandais que le WKR tente de rémedier par le biais d'un « changement de comportement ».
Encore une fois, la plupart des gouvernements actuels sont plus des réparateurs et des arbitres que des dirigants des transactions et des processus de distribution (= la lutte concurrentielle pour le pain et l'influence) entre leurs citoyens. Et ces gouvernements sont eux-mêmes divisés au sujet de mandats des hommes politiques. Pourqoi? Ces mandats dépendent (via les élections) de la bataille nationale d'idées sur la portée et la légitimité de leur rôle d'intervention. C'est ça, la démocratie. Nos gouvernements sont donc faibles : plus de voitures-balais que de pilotes. Dans nos sociétés, l'essentiel du direction (orientation generale) est assuré par tous ceux qui possèdent/gèrent des réserves et font des choix par le biais d'investissements, puis les mettent en œuvre. Et ces personnes s'inquiètent toujours de savoir où et quoi investir afin de perpétuer ce pouvoir. L'argent est au volant. C'est là que se trouve le vrai pouvoir organisateur.
L'hypothèse de la CE selon laquelle la réglementation est suffisante au niveau mondial et gouvernemental pour permettre une planification rigoureuse de la trajectoire de réduction n'est toutefois pas le seul défaut de sa conception de la manière d'orienter ce processus. Le deuxième défaut majeur est leur vision amateur de ce qui devrait se passer dans ces points de décision. Ils dénotent constamment cela par le terme mou de 'traduction transversale' (cross-scale translation) – ” la traduction transversale d'un carbon budget global passe par le pays ou le territoire supranational, d'où le budget du pays est ensuite distribué aux secteurs au sein du territoire et ensuite aux entreprises au sein de chaque secteur » – mais en substance, la décomposition d'un objectif commun à un point de décision supérieur en sous-objectifs pour les points de décision inférieurs implique l'opération centrale de la coopération (= organisation), c'est-à-dire trouver comment danser ensemble (interagir, se compléter, endosser des sous-tâches). C'est ce qu'on appelle la coordination, qui consiste à identifier ce que l'un assume et ce que l'autre prend en charge, et comment cela se combine.
Il s'agit d'un processus extrêmement délicat, car il tourne autour des attributions (tâches, ressources), des obligations que chacun assume et de l'instauration d'une confiance mutuelle dans les normes auxquelles l'autre adhère généralement. Voyez comme il est difficile, dans une relation, de gérer ensemble un ménage sans heurts ou de décider ensemble comment faire l'amour et à quelle fréquence. En bref : leur « traduction transversale » est potentiellement une confrontation tendue entre les parties dans laquelle les moments de négociation, de défi, de coercition, de blessure et d'abandon se succèdent rapidement, et vous devez analyser et organiser cette scène beaucoup plus profondément que EC est en train de faire si on veux installer dans ces point de décision une régulabilité ferme et une planification plus serrée.
Cette dernière lacune de leur idée de pilotage n'a pas entièrement échappé aux rédacteurs de ce rapport. Plus ils détaillent leurs lignes de délimitation (ESBs) et les transformations nécessaires aux niveaux de décision inférieurs dans leur rapport, plus ils baissent leur ton sur la manière dont leurs ESBs mondiaux devraient être interprétés; et ils décident finalement de l'appeler plus une feuille de route qu'un plan mondial : "The safe and just earth system boundaries is a roadmap for cities, businesses, and other actors to course correct human activities to a safe and just operating space. It's science for guiding action."
Réflexions et récognitions
Que signifient ces rapports – c'est-à-dire cet activisme climatique – pour comprendre comment couper la tête du serpent ?
- Le point positif de ces deux rapports est qu'ils préconisent une planification très rigoureuse sur une longue période et qu'ils font face au fait que des transformations radicales sont nécessaires dans nos manières socio-économiques (morales/modes de vie) de donner à chacun l'accès aux besoins vitaux. Cet accès doit devenir plus égalitaire, à la fois en termes de partage des rendements et de participation aux processus de prise de décision sur la stratégie et la mise en œuvre. Sans cette orientation et cette position plus égalitaires, les transitions profondes prévues dans tous les types d'activité deviennent irréalisables. Tout le monde doit être en mesure de sauter les obstacles (coûts d'implementation, restrictions, inexpérience) , et tous simultanément. Sinon, une ou plusieurs transitions échoueront et la planification stricte, méticuleuse et à long terme s'effondrera. Il est toutefois remarquable que les deux rapports utilisent de grands mots tels que "transformations' et ” redistribution", mais qu'ils ne leur donnent pas beaucoup de substance. Ce n'est que dans le cas du réensauvagement (pour respecter la limite de la biosphère) qu'ils donnent suffisamment de détails. Ni la façon dont chacun d'entre nous obtient des revenus et des propriétés, ni la mondialisation des productions, ni l'agriculture, l'industrie et les communications à grande échelle ne sont mis sur la sellette (ne sont en ligne de mire). La EC évoque brièvement la décroissance mais ne l'aborde pas.
- Les points faibles des deux rapports sont, d'une part, le budget carbone et, d'autre part, les idées irréalistes sur la manière dont tout cela pourrait être piloté et géré. En ce qui concerne ce dernier point : Les deux rapports surestiment complètement le faisabilité du projet de méga-planification à long terme qu'ils élaborent. Mais tout d'abord, examinons de plus près l'instabilité du budget carbone.
- Sur le budget carbone.
Selon une estimation récente, nous pouvons émettre 250 gigatonnes de CO2, soit 6 ans d'émissions au niveau actuel à partir de janvier 2023, pour avoir une chance sur deux de rester en dessous de 1,5 degré.
La grande question est donc la suivante : Le budget est-il encore suffisant – selon le point de départ (2020 ou 2030), il est estimé entre 500 et 200 gigatonnes d'équivalent CO2, alors que nous émettons actuellement 40 gigatonnes par an – pour que les trajectoires de réduction des émissions puissent être finis à bien en toute sécurité sur une période aussi longue ?
À mon avis, non. Le budget carbone n'a plus rien de substantiel. C'est proche de zero. Nous avons déjà dépassé 1,5°C. La situation est grave. Il y a clairement une accélération (du changement climatique) en cours au bord de l’éruption de boucles de rétroaction positives (= amplificatrices) potentiellement mortelles, et cela ne s’arrête pas là. Parallèlement, les émissions continuent d’augmenter solidement. Personne de la classe défavorisée ne peut réduire ses émissions, et personne de la classe supérieure ne veut renoncer à une partie de son mode de vie. Des masses de millionnaires s’installent chaque année à Dubaï, par exemple. Et tous leurs petits amis leur rendent visite chaque semaine. En revanche, les cris de désespoir se font de plus en plus forts et nombreux de toutes parts. Voir aussi "Crunch Time for Real". Ou le Emissions Gap Report. Ou encore le résumé de la situation climatique par Jonathan Watts.
L'humanité est au bord d'un abîme fatal. Il n'y a plus qu'un seul moyen absolument sûr de s'en éloigner, à savoir minimiser radicalement les émissions en faisant en sorte que tout le monde adopte un mode de vie rudimentaire. Donc : éliminer complètement les émissions inutiles et convertir toutes les activités agricoles et artisanales autour des zones résidentielles en production de produits de première nécessité. C’est la seule voie sûre pour avancer. Pourquoi ?
Il y a encore de la vitalité dans la nature (c'est-à-dire une vigueur croissante) aujourd'hui. Les arbres et les plantes fonctionnent encore et la mer n'est pas encore en train de bouillir. Nous pouvons donc maintenir l'humanité dans son ensemble en vie avec les outils agricoles, les machines et les équipements ménagers dont nous disposons (et qui peuvent encore durer des décennies). Il n'y a donc pas d'obstacle à la fourniture des produits de base nécessaires à la vie de chacun pour maintenir une bonne santé, et donc l'esprit de décision → l'optimisme → la coopération. Un pas de plus avec ces émissions massives, et nous aurons à faire face à des méga-disruptions consécutives plus nombreuses et plus rapides, avec pour résultat que nous perdrons le pouvoir de croissance de nos meilleurs sols (les zones d'argile et de limon dans les deltas mondiaux ; voir ici l'expansion récente des terres arides) pendant des siècles et des siècles. Faim → Querelle → Guerre → Chasse aux têtes. Dans cet ordre. - Sur le pilotage.
La précarité du problème climatique réside dans le fait que nous l'avons laissé échapper à tout contrôle, au point qu'il faut maintenant réduire de façon draconienne le volume et la composition de la consommation (et donc de la production des biens et services qui sont riches en émissions) des membres de notre société. Cela implique que la quasi-totalité de notre comportement (nos interactions les uns avec les autres) doit être étroitement surveillé et soumis à une réglementation pendant des décennies. C'est-à-dire qu'un plan de réduction des émissions très rigoureux va gêner et encombrer sur tous les aspects de notre comportement quotidien en matière de production et de consommation. C'est le seul moyen de continuer à descendre dans le temps jusqu'à un niveau d'émission où une augmentation de 1° C (= safe boundary selon la EC) se stabilise. Cette trajectoire de réduction abrupte doit également être mise en œuvre de manière très rigoureuse, car nous ne pouvons plus nous permettre de reculer d'un an.
Cela soulève deux questions : (a) Une démocratie peut-elle déterminer un chemin aussi abrupt ? (b) Une démocratie peut-elle mettre en œuvre un chemin aussi abrupt ? - Sur la détermination d'un plan aussi serré :
Quelque chose peut être déterminé ou proposé initialement (avec une petite majorité), mais une mise en œuvre crédible exigerait alors immédiatement d'avaler un système de plan autoritaire (pilotage serré à long terme). Une démocratie – parce qu'elle est un système de défense mutuelle entre des positions rivales – ne permettra jamais ce dernier scénario. Ou bien on contrecarre et on renverse l'accord en un rien de temps (par le biais des programmes des partis émergents), et c'en est fini de la trajectoire d'émissions descendante. Regardez la réalité qui nous entoure. Nous sommes bons pour réparer quelque chose après coup (rétroaction), mais mauvais pour prévenir quelque chose ensemble (feedforward). Après chaque mesure climatique (telle que la tarification des carburants et des routes), nous avons consciemment organisé une annulation. Tout ces mouvements de recul sont aussi la raison pour laquelle le climat nous met désormais devant le fait accompli. Nous retroussons nos manches trop tard car ensemble nous sommes bons pour nettoyer les dégâts mais très mauvais pour les empêcher.
Dans les démocraties libérales, la plupart des décisions sont effectués par des acteurs du marché en concurrence les uns avec les autres. Les gouvernements faibles (instables, réticents) ne dirigent pas, mais réparent et corrigent ce qui ne va pas. Nos gouvernements ont des pouvoirs limités et donc une capacité de régulation limitée. Ils respectent (et protègent) tant de libertés vis-à-vis des membres de la société que chacun peut continuellement contester les décisions et les compromis, même si c'est en dernier recours par le biais du vote, qui met tout à l'abri des regards. Amen. Confier à ces gouvernements faibles de mettre en œuvre une planification stricte équivaut vouloir gagner un grand prix avec un kart à pédales. Un pilotage serré (voir le chapitre 9 de ce livre et le livre d'Ostrom Governing the Commons) nécessite un mode de gouvernance beaucoup plus cohérent (des organes de décision connectés) que via des investisseurs et des gouvernements réparateurs, ainsi qu'une conception très différente (interconnectivité) des processus causaux à gouverner. - Sur la mise en œuvre d'un plan aussi serré :
Lorsqu'il existe une grande diversité de position (professions, rôles), au sein de la population parce que chacun contribue de manière spécialisée à la production liée (parallèle, sérielle, hiérarchique) de services et de biens – et est donc inégalement récompensé et inégalement impliqué – définir (déterminer) et mettre en œuvre une trajectoire sûre et équitable de réduction progressive devient un méga-travail pour lequel vous devez maintenir un système de régulation très lourd (des masses de chercheurs, d'organes décisionnels, de fonctionnaires et un grand appareil judiciaire). Comment gérer cela ? Uniquement par le biais de la hiérarchie, et donc encore plus d'autorité. Cela ne fait qu'exacerber le carcan que l'activité de planification de plus en plus lourde et stricte dans les processus administratifs cause déjà..... Parce que si l'on préserve tous les processus connectés au niveau mondial et toutes les interactions entre les économies par le biais du commerce et du transport, une planification de plus en plus stricte au sein du système administratif pour chaque position dans le système à gouverner impose à peu près toutes les choses à faire et à ne pas faire. En conséquence, les gens doivent fonctionner dans une camisole de force de l'ordre coordonnatrice (en termes de portée, de calendrier et d'organisation de leurs productions) et des contrôles. Les gens ne veulent pas vivre ainsi. Cela génère des masses de dissidents et nombreuses entreprises délocaliseront. - La combinaison d'un pilotage serré et de la démocratie est-elle vraiment impossible ?
Cela dépend en grande partie de la nature de la bête (c'est-à-dire de la strate causale) à gouverner. Plus cette strate est complexe (c'est-à-dire qu'elle comporte de nombreuses interactions entre les sous-systèmes) et plus les participants y sont positionnés de manière divergente, plus il devient difficile d'executer un pilotage serré. Pourquoi ? La complexité augmente la mesure dans laquelle la planification doit prendre tout le monde en tenaille et imposer des choix, et la désunion des intérêts et des visions découlant des différentes positions (spécialisation et inégalité) dans la strate détériore les chances et la facilité d'obtenir un plan (c'est-à-dire les choix à long terme) qui soit accepté par tous comme étant juste et acceptable et qui puisse tenir la route lors de la mise en œuvre. Nos sociétés de haute technologie, spécialisées et méritocratiques enregistrent des scores élevés pour ces deux facteurs (complexité et divergence). Donc, là, non, pilotage serré n'est pas compatible avec démocratie.
Mais si un pilotage serré n'est pas possible et qu'il n'y a pas de carbon budget pour emprunter une longue trajectoire de réduction, que nous reste-t-il ? Avons-nous encore des options?
Y a-t-il encore des chemins de s'en sortir?
La première possibilité:
L'une des options encore possibles pour réduire de manière drastique et abrupte les émissions est de décider démocratiquement de déclarer l'état d'urgence et d'appliquer un rationnement strict des produits de première nécessité, le même pour tous, tout en fermant en même temps tout autre accès en dehors du canal de distribution. Cela est réalisable et a été appliqué avec succès même dans des circonstances beaucoup moins graves (occupations, épidémies, etc.). Même quatre ans après la guerre (en 1949), ma mère recevait encore une carte de rationnement pour les textiles à cause de ma naissance, et sans le droit de reconstruire (à cause des bombardements), personne n'était autorisé à construire une maison à l'époque. Un avantage supplémentaire très important de cette solution est que, à cause de la réduction considérable de la consommation de tout ce qui est superflu, la strate causale (à gouverner) devient beaucoup plus simple et plus transparante. Pourquoi ? Les connexions internationales (inputs et outputs) sont réduites à néant et si, pour économiser de l'énergie on produit autant que possible localement les biens de première nécessité (nourriture, énergie, logement, récréation), les interactions à l'intérieur du pays deviennent également si calmes et minimales qu'une coordination étroite (pilotage serré) peut continuer à être executée démocratiquement.
La deuxième solution pour sortir de cette impasse est une révolution visant à organiser un mode de vie suffisamment sans émissions pour l’ensemble de la population et à briser la résistance contre ce mode de vie. Cette solution est également réalisable. Elle a simplement une trajectoire plus chaotique que le passage au rationnement. Si le rationnement n'est pas décidé rapidement (par le biais de l'état d'urgence), les dégâts climatiques concrets (catastrophes) et les anticipations de souffrances humaines inéluctables commenceront à provoquer tant de colère et de haine dans les milieux qui n'ont pas l'intention de se laisser éradiquer par les émetteurs fanatiques, que des confrontations de plus en plus violentes, accompagnées d'une guerre des mots faite de reproches et de menaces, vont basculer dans une lutte révolutionnaire pour le pouvoir.
Ma conclusion : À mon avis, les deux études en question sont à la fois complètes – c'est-à-dire qu'elles couvrent tous les coins et recoins de la réduction des émissions – et courageuses parce qu'elles osent toutes les deux conclure que le système (c'est-à-dire nos façons de vivre ensemble) a besoin d'une révision assez profonde. Mais elles ne prennent pas le taureau par les cornes (comme le fait Meadway). Ils ne comprennent pas qu'une conséquence de toute affirmation selon laquelle la répartition doit être plus équitable et que tout ne peut plus être entrepris, est qu'il faut établir des priorités dans le domaine où on va limiter les gros bonnets (c'est-à-dire les consommateurs qui ont un niveau élevé de dépenses non-essentielles). Il faut donc établir des priorités et choisir afin de pouvoir donner une orientation (c'est-à-dire un contenu) à vos transformations. Maintenant, tout reste en suspens.. Les opportunités de buts ouverts ne sont pas saisies.
Jac Nijssen, 2024
This article has been written November 2024, revised December.
A Dutch version was published on duurzaamnieuws.nl at 19 November 2024
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